• Mardi soir dernier, je me rendis au restaurant chinois "Les Baguettes Hantées", où je travaillais comme serveuse.

    Le jour précédent, le soleil brillait de mille feux, mais aujourd'hui, la pluie tombait sans discontinuer, l'orage grondait et des éclairs zébraient le ciel. Je fus donc heureuse d'arriver à mon travail car il y faisait bon et j'étais trempée jusqu'au os.

    M. et Mme Chang, mes patrons, étaient rieurs et pleins de vie, mais le rire de Mme Chang me donnait la chair de poule. Brrr... !!!

    Ce soir là, je devais assurer le fermeture du restaurant seule. Je déposai mes affaires au vestiaire et me mis à mettre le couvert sur les différentes tables. J'entendais M. et Mme Chang cuisiner et l'odeur de leur plat me parut plus forte que d'habitude, mais je n'y prêtai pas attention.

    Quand les premiers clients arrivèrent, j'étais prête et en pleine forme pour commencer le service qui se déroula sans incident.

    M. e Mme Chang partirent juste après les derniers clients.

    Il ne me restait plus que le vaisselle à faire. Je m'approchais de l'évier quand je vis les couverts bouger et en sortir.

    Je reculai contre le mur, glacée d'effroi.

    Le four se mit à parler avec la gazinière en ouvrant et fermant sa vitre.Je me pinçai, croyant rêver, mais soudain, les ustensiles de cuisine, les couverts et les récipients sortirent des tiroirs et des placards puis,commencèrent à m'encercler. Mon sang ne fit qu'un tour et se glaça.

    L'église du village sonna onze heures du soir. Alors, les couverts qui m'encerclaient se répartirent en plusieurs en plusieurs petits groupes pour jouer au jeux de société. Certains jouaient aux cartes, d'autres aux dominos alors que d'autres encore faisaient des puzzles. La théière servait du thé, la cafetière, du café, et la carafe, de l'eau, aux joueurs qui avaient soifs. Le four cuisait des gâteaux forts appétissants mais de couleurs étranges.

    Soudain, des baguettes chinoises sorties d'un tiroir se mirent à chanter un vieil air de comédie musicale d'une voix criarde et haut perchée. La gazinière tapa trois fois dans la porte du four et le vieil air de comédie musicale fut remplacé par la magnifique voix d'une diva chantant "La Flûte Enchantée" de Mozart. Les ustensiles de cuisine et les récipients se mirent à jouer cet opéra. Une casserole jouait le rôle de la Reine de la Nuit, un saladier celui de Pamina, ... Un air de ballet s'éleva ensuite dans la cuisine du restaurant. Les couteaux et les fourchettes exécutaient à merveille et avec tant de grâce "Le Lac des Cygnes". Soudain, je remarquai que les cuillères à soupe, qui n'avaient pas bougé, s'animèrent. Elles se mirent à dessiner avec du potage. Je reconnus la Joconde, les Noces de Cana, ...

    Tout à coup, un camion de pompiers dont la sirène hurlait passa près du restaurant et s'arrêta non loin de là. Les éléments de la cuisine qui avaient grandi reprirent leur taille réelle. Ils n'étaient plus doués de parole et de gestuelle. L'électricité fut coupée, les lampes grésillaient. Mon sang recommençait à se glacer dans mes veines. Aucun son ne pouvait sortir de ma bouche tellement j'étais terrorisée. J'attrapai une spatule en bois pour me défendre. Je donnai un violent coup dans les cuillères qui se mirent à voltiger à travers toute la pièce. Six heures sonnèrent à la vieille horloge, située dans la salle du restaurant. Les couverts, récipients et ustensiles de cuisine commencèrent à courir dans tous les sens. Tout commençait à s'embrouiller dans ma tête. Tous les souvenirs de la soirée remuaient lentement dans ma mémoire. Soudain, je me sentis tomber et je m'évanouis sur le sol de la cuisine.

    Je me réveillai en tenant, serrée contre moi, une spatule en bois. Pour la première fois, je me mit à contempler les tableaux qui étaient accrochés au mur de la cuisine. Ils représentaient tous des couverts, ustensiles de cuisine ou récipients, mais dans plusieurs états. Certains dansaient, d'autres écrivaient alors que d'autres encore jouaient de la musique.

    M. et Mme Chang, qui étaient rentrés sans que je m'en aperçoive, m'expliquèrent que ces étranges tableaux tableaux avaient été peints par leur fille, Maria, qui était morte récemment. Maria était persuadée que ses tableaux étaient vivants, mais personne ne la croyait.

    Après avoir écouté cette belle mais mélancolique histoire, je me levai et vis sur le sol, dans un coin de la cuisine, une cuillère à soupe ayant à son extrémité un peu de potage. Mais je n'en étais pas sûre, car je m'endormis sur le plan de travail, écrasée par la fatigue, sans avoir pu faire un geste de plus.


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